Le cash pooling, pour réveiller l'argent qui dort (2024)

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Le cash pooling est un ensemble de techniques de gestion centralisée de la trésorerie à l’échelle d’un groupe. En pleine période inflationniste et avec des taux élevés, cette mise en commun du cash a plus d’un atout : vision globale, optimisation des excédents de trésorerie, économie de frais bancaires… Mais sa mise en place est un gros projet qui réclame du temps et des expertises juridiques, fiscales et managériales. Attention aux chausse-trapes ! Un défi de taille attend le trésorier qui souhaiterait se lancer dans l’aventure : convaincre les dirigeants de filiales de l’intérêt d’une telle mise en commun. Il lui faudra user de tact et de pédagogie.

C’est un classique des opérations de trésorerie devenu incontournable en ces temps de taux élevés et d’inflation : la mise en commun du cash, ou “cash pooling”. Cette expression désigne un ensemble de techniques qui permettent aux organisations de gérer les flux de trésorerie de différentes filiales ou entités de façon centralisée. Pour résumer, il permet aux groupes, quelle que soit leur taille, de faire un meilleur usage du cash disponible, de faire fructifier l’argent qui dort et de venir en aide aux filiales qui manquent de liquidités, de façon juridiquement encadrée.

“Le cash pooling est d’abord une solution juridique qui consiste en un accord entre une société centralisatrice et des sociétés participantes pour faire remonter des flux de trésorerie ou les faire redescendre aux entreprises qui en ont besoin”, définit David Héleschewitz, trésorier du groupe Alten et président de la commission cash management international à l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE).

“Si une entreprise a 3 filiales et que chacune possède 3 comptes bancaires, elle peut s’interroger sur l’opportunité de recourir au cash pooling”

La mise en place d’un cash pooling nécessite une grande rigueur juridique et fiscale et une analyse préalable poussée. C’est un projet d’envergure qui réclame du temps mais vaut la peine, notamment pour simplifier les organisations aux multiples comptes bancaires et filiales. Toutes n’en ont cependant pas nécessairement besoin. “Une entreprise sans filiale qui a cinq comptes bancaires pourra se contenter d’une centralisation de ses opérations. En revanche, si une entreprise a trois filiales et que chacune possède trois comptes bancaires, elle peut s’interroger sur l’opportunité de recourir au cash pooling”, explique Isabelle Alvernhe, senior manager chez KPMG.

Plus de visibilité sur la trésorerie

Le cash pooling est donc loin d’être réservé aux géants du CAC40, familiers de cette gestion centralisée. Son intérêt est multiple pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), surtout les plus internationales. En agrégeant les comptes des différentes filiales et en centralisant les données d’encaissem*nts et de décaissem*nts, le cash pooling renforce la visibilité sur la trésorerie. C’est l’une des raisons qui ont incité le groupe Chantelle à centraliser sa trésorerie en France et à agréger plusieurs systèmes de cash pooling pour ses implantations étrangères. “Nous avons un cash pooling bancaire ZBA [“Zero Balance Account”, système visant à ne laisser dans les comptes courants des filiales que des montants minimaux, ndlr] hebdomadaire dans les pays nordiques et un cash pooling piloté par un outil de trésorerie pour les pays européens que nous pouvons paramétrer”, indique Hélène Guessant, sa directrice trésorerie financement et consolidation. Le spécialiste de la lingerie féminine réalise deux tiers de son chiffre d’affaires à l’international, à travers différents canaux de distribution. Il gère plusieurs filiales et usines au Maghreb, en Thaïlande et au Vietnam. Grâce au cash pooling, ses flux de trésorerie, dans différentes devises, bénéficient d’un pilotage global et d’une gestion du change au niveau central. C’est bien plus lisible. “Notre cash pooling nous permet de connaître de façon sécurisée la position de cash de chaque entité du groupe”, relève Hélène Guessant.

Des optimisations sur les excédents

Voilà qui permet aussi d’améliorer la gestion des besoins et des excédents de trésorerie. “À l’échelle d’un groupe, certaines sociétés sont en tension. D’autres ont du cash dormant. Un cash pooling permet de le mettre à disposition d’autres filiales ou de placer les excédents”, explique Isabelle Alvernhe de KPMG. Une ETI qui laisse dormir 1 million dans chacune de ses 10 filiales manque l’opportunité de faire fructifier 10 millions d’euros. Avec des taux d’intérêt et une inflation élevés, vérifier la rémunération du cash et optimiser les placements devient une nécessité.

“Avec des taux d’intérêt et une inflation élevés, vérifier la rémunération du cash et optimiser les placements devient une nécessité”

“La notion de date de valeur [la date de référence à laquelle une banque pour inscrire une opération au crédit ou au débit d’un compte bancaire, ndlr], qui pendant quelques années avait disparu des radars du trésorier, revient en force”, souligne David Héleschewitz, trésorier du groupe Alten. Ces optimisations peuvent passer par la mise en place d’un cash pooling manuel via un logiciel de Treasury Management System (TMS) ou être gérées de façon automatique, avec des banques – chacune de ces options a ses inconvénients et ses avantages. Certains cash pools sont en effet basiques et d’autres très élaborés.

3 questions à…
Jean-Baptiste Auzou, directeur de la BU Finances de Cegid

Entretien réalisé en collaboration avec Cegid

Le cash pooling, pour réveiller l'argent qui dort (1)Pourquoi la centralisation des flux de trésorerie devient-elle nécessaire ?
Le cash est un sujet majeur qui rend indispensable une visualisation centralisée et des capacités de prévision pour optimiser les flux financiers des entreprises. C’est cette optimisation qui permet aux entreprises de se donner les moyens de réaliser leurs projets à court, moyen ou long terme, qu’il s’agisse de croissance externe ou organique. Dans un contexte d’incertitudes économiques croissantes et d’inflation, cette centralisation leur permet de mieux déceler les opportunités.

En quoi la gestion du flux de trésorerie a-t-elle un rôle à jouer en matière de risques ?
L’analyse des flux de trésorerie permet de mettre en lumière des informations indispensables comme des signaux de difficulté de paiement de certains clients, par exemple, ou l’impact de l’inflation sur les différents territoires d’intervention du groupe. La sécurisation des flux de paiements, à l’encaissem*nt comme au décaissem*nt, permet également la détection des fraudes. Grâce à la centralisation des flux, le trésorier devient un business partner de la direction financière et commerciale de l’entreprise.

Comment l’intelligence artificielle peut-elle contribuer au développement des capacités prédictives et de modélisation ?
La prévision de trésorerie est le lieu idéal d’expérimentation de l’intelligence artificielle générative. Nous avons investi ce champ chez Cegid. L’intelligence artificielle décuple les possibilités et les capacités d’analyse des prévisions de cash. Jusqu’à présent, les modèles fonctionnaient en silo. Avec l’intelligence artificielle, les modèles prédictifs itératifs sont ouverts, adaptables et modifiables : il suffit de faire varier les hypothèses. Les remontées d’informations sont souvent fastidieuses pour les grands groupes ayant 500 succursales à l’étranger. L’intelligence artificielle va largement les faciliter.

Moins de frais bancaires et des flux sécurisés

Si la mise en place d’un cash pooling réclame du temps et des moyens, il est aussi censé rationaliser les frais bancaires. “On se rend rarement compte des sommes considérables que représentent les frais bancaires à l’échelle de l’ensemble des filiales d’un groupe. Il faut les cartographier pour s’en apercevoir”, assure Isabelle Alvernhe de KPMG. La technique financière du “netting”, notamment, limite ces frais, tout en sécurisant les flux dans les pays politiquement instables. Il permet en effet de compenser toutes les créances et les dettes réciproques entre les filiales membres du groupe dans les différentes devises de facturation, et d’effectuer un règlement unique. Par exemple, si une entreprise mère a une créance de 100 000 euros sur une filiale, laquelle lui doit 60 000 euros, grâce au netting, les deux entreprises s’échangent 40 000 euros. Cette méthode réduit les transferts, les mouvements de capitaux dans chaque devise et les pertes sur les dates de valeur, de façon parfaitement légale. “Le cash pooling est une exonération du monopole bancaire français”, précise Thierry Revah, directeur du financement et de la trésorerie de Teleperformance, également membre de l’AFTE.

Contrôle interne et contraintes juridiques et fiscales

Toutes ces techniques sont très encadrées sur le plan fiscal et juridique. “Le trésorier est là pour soutenir le business, aider les filiales à se développer, trouver des solutions. Mais il est aussi un élément fort du contrôle interne et un garant de la sécurité financière de son groupe”, insiste David Héleschewitz. Les prêts d’argents entre société mère et filiales sont régis par des conventions de trésorerie, condition sine qua none à la mise en place d’un cash pool. Elles déterminent les tarifs appliqués pour les prêts entre entités. Ces derniers ne peuvent pas être ni gratuits, ni trop intéressants financièrement : ils sont accordés à des conditions proches du marché. Thierry Revah appelle à la vigilance : “chez Teleperformance, nous vérifions les conditions financières de dépôts, ou bien d’emprunts qui seraient applicables à la filiale, auprès de deux ou trois établissem*nts bancaires. D’autres font des études au cas par cas du prix de transfert applicable, selon des ratings internes définis pour chacune de leurs entités juridiques”.

À ces contraintes domestiques s’ajoutent des règles propres à chaque pays, quand le groupe est positionné à l’international. “Avant de se lancer, il faut cartographier ses flux par zones géographiques, les volumes, les contraintes fiscales et réglementaires de chaque pays et élaborer ensuite une feuille de route pour construire son cash pool par étapes”, conseille Hélène Guessant.

Armelle Gegaden

Cash pooling, l’art de convaincre

Le cash, c’est l’affaire de tous : le trésorier qui souhaite développer un projet de cash pooling va devoir prêcher cette bonne parole. Car au-delà des sujets techniques, son déploiement nécessite d’accompagner le changement. Il s’agit de convaincre les filiales et les directions d’abandonner leurs prérogatives au profit de la maison mère. L’ampleur de la tâche dépend de l’état d’esprit dans l’organisation. “Dans certains groupes, la culture est top-down : on ne discute pas ce qui vient du haut. Dans d’autres, la conviction prime la coercition”, souligne Thierry Revah, directeur du financement et de la trésorerie de Teleperformance.

Pour déployer son cash pooling, le trésorier devra user de pédagogie et de diplomatie, surtout dans les groupes où les dirigeants de filiales étrangères ont appris à se débrouiller pour développer leur business unit. Il faudra démontrer l’intérêt d’une centralisation. Dans son organisation, Thierry Revah met en valeur “les économies d’échelle et les pertes d’opportunités” : la filiale peut bénéficier des conditions financières négociées par le groupe. “De plus, la plupart du temps, la filiale n’a pas le temps d’analyser les meilleurs placements. Il y a un véritable avantage financier à rentrer dans le cash pooling.” David Héleschewitz, trésorier du groupe Alten, appuie son discours sur l’absence de contrainte : “la filiale aura accès à du financement et des solutions de placement à court terme : elle n’aura pas besoin d’aller voir un partenaire bancaire externe, de signer des contrats, de gérer les retraits de fonds… En général, le cash pooling offre un petit bonus sur les conditions de financement, dans le respect des prix de transfert applicables”.

Ce discours a évidemment plus de poids dans les entités déficitaires en cash. Il plus de mal à passer auprès des plus excédentaires. La culture d’entreprise ou des raisons juridiques et fiscales plaident parfois en défaveur d’un cash pooling. Sa mise en place nécessite de tenir compte des spécificités locales : “Il faut faire des choix : on ne peut pas ‘cash-pooler’ tout un groupe”, conclut Hélène Guessant directrice trésorerie de Chantelle.

6,4% : progression sur une année de l’encours des crédits bancaires aux entreprises en France, pour un montant total de 1 331 MdsE, contre 4,5% en moyenne dans la zone euro.

Source : Fédération bancaire française, mars 2023.

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